le dictionnaire philosophique de la vie domestique - pascale weber (fr)
Ce dictionnaire a été écrit lors de ma résidence d’artiste à Vidéoformes et a été publié dans le catalogue de l’exposition-happening «L’utopie domestique».
Dictionnaire philosophique
de la vie domestique
pascale weber
l’Animal domestique
L’animal domestique n’a qu’un seul maître. Il est donc personnel. Il peut se donner, mais ne se prête pas. Abandonné, maltraité ou chéri, il n’est jamais partagé.
L’animal domestique est à mi-chemin entre l’humain et l’objet. D’une part, il manifeste sa présence par ses humeurs, ses revendications et ses habitudes ; il a ses préférences. D’autre part, comme chaque chose il a sa place. L’animal domestique peut être extrêmement décoratif et animer chaleureusement un intérieur. Objet vivant, esthétique, Il se choisit, se décline, pour s’assortir à un environnement (boiseries, tapisseries…).
Voici un bijou ou une arme de collection autotractée promenant sa laisse et ses accessoires, voici l’aquarium, cousin du tableau bourgeois aux tâches de couleurs pastel, voilà un bon gros chat racé aux longs poils, variante du trophée de chasse, voilà encore deux trois oiseaux exotiques en cage, pendant d’un objet rare et ramené d’un voyage lointain.
Les animaux domestiques sont vivants mais pas trop. Ils ont le cœur que nos vieilles armoires n’ont pas. Ils poussent les soupirs que nos fauteuils ne pousseront jamais. Certains d’entre nous savent même leur apprendre à se vautrer afin de jouer au tapis devant la cheminée.
Mais qu’ils grognent indifféremment au passage des voitures ou des piétons, les animaux domestiques sont toujours moins seuls que leur maître. Car bien ou maltraités, ils savent qu’ils ont été choisis.
l’Animal domestique (2)
L’animal domestique entretient notre activité cérébrale en proposant à l’individu pragmatique et cartésien des énigmes qui le laisse pantois.
Comment la tortue réussit-elle à creuser un trou de plus de trente centimètres de profondeur, à s’y glisser et à recouvrir son corps sans jamais laisser voir de monticule de terre autour du dit trou ? Comment fonctionne donc cet animal qui s’apprête à hiberner ?
Mais encore, comment la musaraigne grimpe-t-elle le long des murs ? comment le hérisson escalade-t-il les clôtures grillagées ? Dans le vaste cabinet de curiosité des espèces vivantes, l’animal est stimulant pour notre intelligence supérieure.
Un voisin m’a fait observer un couple de chevaux qui passaient la journée collés « tête-bêche » l’un à l’autre : leur queue respective chassaient les mouches qui s’attaquaient à leurs yeux, leurs naseaux. Quelle énergie savamment dépensée !
02-10
l’ Art
C’est un lieu intransigeant où se découvrent, où se construisent les seules histoires qui aient un sens. C’est l’exigence de se parler précisément, de prononcer –sans les comprendre immédiatement- des mots qui interrogent le désir de parler. L’art est un espace unique de clarification, d’effacement, d’ascèse, de concrétion, d’aveu de notre impuissance.
L’individu y juge avec sévérité l’ inutile bavardage, sa vanité et ses échecs successifs. Il y soigne et il y cultive les erreurs. L’art est le lieu qui le fait advenir en tant qu’individu unique, artiste ou amateur, dont il arpente la mémoire, les désirs, le désespoir, qui lui apprend à aimer l’humanité autant qu’il lui est possible de le faire.
Les Babouches
Arrivée chez elle, la maîtresse de maison ôte ses chaussures pour enfiler dare-dare ses babouches, pour entrer de plein pied chez elle. Soulagement.
Voilà pourquoi je propose un modèle de kit de bienvenue pour les résidents de passage .
Une petite panoplie contenant :
•Un rond de serviette
•Une serviette en tissus pour les opposants au gaspillage de papier
•Une serviette de bain
•Un gant de toilette (facultatif)
•Une paire de babouches.
Les babouches sont un symbole du contrat domestique : l’invité se glisse dans les chaussons comme il se glisse dans l’intimité de ses hôtes. Il reconnaît ainsi un règlement intérieur tacite. Même s’il est difficile lorsqu’on marche sur des œufs, de faire bon usage de ses savates.
Toutefois, les babouches présentent l’avantage incontestable de fonctionner par taille approximative.Il suffit de deux modèles, homme, femme, et on trouve presque toujours « babouches à son pied ».
Décembre 03.
Le Canapé-lit
Il fait des bruits secs et métalliques : ce sont les ressorts et les tendeurs. Il fait des bruits sourds de percussions : ce sont les pieds dépliés qui se soulèvent du sol et retombent régulièrement le marteler. Le canapé-lit doit être escorté par quelque chose de légèrement surélevée et plane, une table basse ou plus souvent un fauteuil, qui se transforme le soir en support de paysage accidenté : une montagne de coussins rebondis, ôtés du couchage, empilés entre les accoudoirs dans un certain ordre.
Car la magie du canapé-lit ne réside pas dans sa qualité de canapé, ni sa capacité à offrir une couche, mais dans sa transformation répétée. Tantôt ramassé, confiant comme la bête au repos dans sa tanière, tantôt écartelé, offrant son ventre au ventre du voyageur fatigué.
L’ossature de fer s’anime tel un insecte géant, l’ossature s’allonge ou bien se recroqueville dans un raffut qui sonne l’heure du départ. Plie bagage voyageur ! Le canapé tente de nous épater une dernière fois, les coussins se callent alors au bon endroit. Tout est en ordre.
30-09
La Chambre d’ami (1)
L’ancienne chambre d’enfant :
La chambre d’ami peut être l’ancienne chambre d’enfant devenu grand. Il s’agit alors de visiter nuit après nuit un musée à la gloire de l’enfance dépassée, d’ores et déjà célébrée par Boltanski.
L’enfant de la maison devient un peu le nôtre et on se soi-même un peu de la famille, c’est-à-dire appartenant à un espace familial (voir le texte sur la nostalgie familiale). Une chambre d’enfant, qu’on nous confie par hospitalité relève à la fois du tombeau et d’un espace de fiction dans lequel on peut se projeter librement. Quelque chose entre l’album de famille et le téléfilm ( la série télévisée dans laquelle rien ne se passe jamais). On y trouve les photographies (de classe, de communion, …) d’une part, mais aussi les accessoires domestiques de l’enfant perdu, qui joue à le redevenir lors de ses visites : trophées, collections d’objets et d’images, objets-souvenirs. Ces fétiches renvoient à l’instant précaire transitoire entre l’enfance et l’age adulte et rappelle au visiteur qu’il est lui-même de passage.
Ces objets sont là pour témoigner de l’occupation passée mais aussi de l’émancipation réussie de celui qui occupait l’espace. L’enfant a su abandonner là, comme le reptile qui effectue sa mue, les traces de sa métamorphose. Ce sont des peaux mortes ; elles ont gardé la fragilité du derme. Le temps, en séchant la matière, a décuplé la tension qui relie chacun de ses objets au vivant, au corps en mutation.
D’ailleurs il ne faut rien déplacer à moins de risquer que tout ne se déchire, ne parte en lambeau, ne perde ses pages, ne se désarticule et se brise. La chambre d’enfant sans enfant est remplie de jouets qui attendent leur mort définitive, l’accident irrécupérable, l’irréparable. Car ce n’est pas seulement leur structure qui est fatiguée mais l’étoffe même de leur chair, qui se délite, qui se désagrège pour te faire respirer la poussière du grenier.
La chambre d’ami (2)
Le salon télé :
Notre passage se doit d’être aussi distrayant qu’une émission de variétés, aussi rythmé qu’un espace publicitaire, aussi intéressant qu’un flash d’information.
On veillera à adapter son volume sonore au niveau ambiant. On se laissera couper la parole, après l’avoir monopolisée, avant de la reconquérir. On rebondira, avançant chaque chose et son contraire afin de créer un effet zapping qui fera oublier à ses hôtes cette soirée-télé sacrifiée pour vous.
02-10
La chambre d’ami (3)
La buanderie :
Dormir dans la buanderie, la cabine de repassage et se mêler au beau linge, rejoindre celui qui a été lavé en famille, doudous, vêtements propres, tissus froissés. Il ne s’agit plus de rêver dans les draps de ses hôtes, mais de se glisser entre les serviettes de bains, les torchons, le petit linge des enfants. Je me faufile dans le lit et déjà il me semble avoir coulissé dans l’un des tiroirs de la commode. Je rejoins très vite par un passage secret le placard à torchons de la cuisine avant de finir dans l’armoire de la chambre. Le tas de vêtements empilés me toise du haut de sa table de repassage. J’adore le désordre des autres.
(novembre 03)
Chez moi chez vous
Je voudrais classifier les différents espaces que je traverse, pour les reconnaître, pour m’y reconnaître, pour me repérer. Car les paysages se renouvellent sans cesse tout en restant profondément imbriqués. L’espace est un continuum dans lequel j’évolue et je me perds chaque jour.
Il est rassurant d’en nommer quelques recoins, pour me rappeler cette famille que je délaisse sans arrêt, à laquelle je tourne le dos pour ne plus penser qu’à elle ; pour me glisser discrètement chez ces hôtes qui ne savent pas ce que je cherche et qui ne se doutent pas toujours que je l’ignore moi-même. Parce qu’au fond je suis chez eux comme je suis chez moi, je dois travailler à ne pas négliger mes aspirations et celles de ceux qui m’entourent, je dois m’obstiner à écouter, à prêter attention, à séduire, à forcer certaines portes, à aimer ;
Je suis chez moi chez vous et je suis vous de retour chez moi, car je garde vos envies, vos combats, votre hospitalité dans mes bagages.
Parce que je voyage au point de ne plus savoir où je me trouve le matin au réveil ; parce que je me repose là où je peux me poser, sur les aires d’autoroute, dans des recoins de cafétariat… , je m’enferme parfois dans ma petite voiture en songeant que je suis dans un purgatoire dynamique. J’avance, j’accélère, je fais demi-tour, j’attends de pouvoir me calmer quelque part à l’ombre des congénères qui m’effraient tant.
Pourtant il suffit que j’en vois un, debout sur le perron, à m’attendre, pour que je sache à quel foyer j’appartiens, une humanité imaginaire, précaire et essentielle.
Le 04 novembre 03
un Corps
Il est ma première et dernière forteresse. Il est mon éternelle enclave. Il est cette masse grossière et lourde qui délimite ou rabaisse mes prétentions. Il est le reflet fulgurant, imprévisible d’autres corps. Il convoque l’ensemble de la création, mais toujours à contre-temps. Il appelle l’esprit à la raison et la raison à la déraison. Il dessine des cycles de sagesse, de tranquillité et de repos, de réveil, d’accélération et d’ivresse.
Mon corps est à la fois inconvenant et pétri de savoir-vivre, de peur de vivre. Il est le territoire arpenté par les amants réels ou irréels, d’un jour ou plus. Car cédant à ces hommes ou ces femmes qui auront atteint l’ultime limite de leur cheminement en moi au premier instant, au premier regard, au premier effleurement, je souffre de ne savoir ce qui est vraiment bon ou mauvais pour lui.
Mon corps est la matière même de ma solitude. Il est mon désespoir. Il est ma misère et mon cache-misère.
Les Enfants
Nous les nourrissons d’abord comme tout animal nourrit ses petits. Grâce à eux nous comprenons que l’amour est une invention, un jeu de miroirs et de projections. J’ai tissé le début du lien à mes filles, j’ai travaillé à la construction d’une rencontre possible fantasmée.
Les enfants sont l’incarnation d’une tentative, d’une envie de rencontrer quelqu’un, un corps, une voix, en soi. Pour se déborder. Rien ne présage qu’ils veuillent longtemps de cette relation, ni même de cet amour. Et pourtant nous savons leur dépendance, nous connaissons la puissance maternelle. Nous savons que notre attention est leur pire poison, qu’elle les soumet à nos moindres caprices de mère aimante.
La Fatigue
La fatigue du corps et de l’esprit est un état déroutant, nous obligeant à tirer parti de nos moindres énergies.
La fatigue anéantit les muscles, tasse les vertèbres, courbe le dos. Elle raidit le cou, crispe les doigts, écrase les mâchoires.
Pourtant, elle ne diminue en rien la faculté de penser. Au contraire, l’esprit malin est vivifié par notre éreintement général. Il s’active et revisite chaque pensée pour en extirper ce qu’il y a de plus sombre, de plus désespérant. L’intelligence fatiguée réussit avec une cohérence exemplaire à tisser des liens entre quelques chagrins puérils, des blessures superficielles, des mots qui égratignent la sensibilité, de menues frustrations.
Ce qui, quelques instants auparavant, semblait si léger se plombe et devient insupportable. Pour peu, on en mourait de chagrin. Car, il faut éteindre la lampe et accepter de s’endormir avec tristesse, sans que rien ne présage un réveil plus calme.
Il est tout aussi pénible d’aller se coucher envahi d’un tel désespoir que d’étendre son corps affreusement courbaturé, sans savoir quelle position plus confortable adopter.
Toutefois je me dis que c’est un vrai soulagement de comprendre que le désespoir n’est rien d’autre au fond qu’une âme courbaturée par trop d’exercice.
Je n’irai pas me tuer ce soir pour un simple lumbago…
Le 22 octobre
La Fenêtre
La fenêtre qu’on voit de la rue n’est pas la même que celle à travers laquelle tu vois la rue. Car de l’extérieur une fenêtre n’est jamais seule. C’est une ouverture parmi d’autres, qui se décline en porte-fenêtre, en hublot, en porte de buanderie, en demi-lune.
Autant de personnages possibles sortant la tête ou debout sur le péron, à s’interpeler, à faire la sérénade. Autant de regards obliques, de longues tresses auxquelles s’accrochent de jeunes hommes éperdus. Les fenêtres en façade dessinent des escaliers de verre.
De l’autre côté, l’encadrement délimite un rectangle de lumière, à ce point fascinant que tu le prends pour l’unique possible point de fuite de toute perspective. La fenêtre est l’image d’un contraste envoûtant entre une lumière extérieure, commune, crue, changeante et imprévisible et l’obscure intimité rassurante du foyer.
Les voilages assombrissent l’espace en le soustrayant à l’indiscrétion tandis que les doubles-rideaux soulignent avec lourdeur, le soulagement de te savoir calfeutré.
La fenêtre est cette frontière paradoxale où tu te penches pour te montrer et te saluer, et derrière laquelle tu vis en reclus et tu t’isoles pour ne plus voir quiconque.
Les histoires tristes
Il n’existe pas de rencontres sans histoires. On ne sait d’ailleurs jamais si ce sont les entrevues qui font les récits, ou le contraire. On ne sait pas plus si les rencontres se nourrissent nos conversations ou si nos souvenirs se tissent au fil de nos rencontres. Peu importe pourvu que tu m’en racontes et je t’en raconte de belles. Ce sont chaque fois les aventures d’un nouvel Ulysse. Il incombe à chacun de départager ce qui revient au héros mythique et ce qu’il reste au commun des mortels.
Je suis bon public et pour ma part je m’amuse à croire tout ce qu’on me dit. D’ailleurs ce qui est vraisemblable est toujours au moins à moitié vrai ; si cela ne s’est pas déjà produit, ça ne saurait tarder. Les maladies mortelles et injustes, les amours éclatées et inconsolables, les tortures, la folie, l’abandon, le désespoir, toutes ces épreuves existent avant d’intégrer le fil du récit. Les existences autres que la mienne sont presque toutes dramatiques ; je ne voudrais aucune de ces vies. Mais est-il possible que l’on veuille de la mienne ?
Le malheur des autres m’effraye doublement : je n’y suis pas préparée (est-on jamais prêt pour une quelconque catastrophe ?), mais je suis en outre obligée de contempler, de revisiter un destin terrible sans pouvoir conjurer mon angoisse par l’action. En effet, je n’ai aucune prise sur ce réel qui n’est dans mon histoire qu’un interlude dramatique, du moins je l’espère… Je n’ai aucune action ou réaction directes possibles.
J’ai constaté à plusieurs reprises, et cela au moins m’a attristée, combien je pouvais rester insensible à la disparition de personnes que j’avais aimées. J’ai tenté en vain d’éprouver de la tristesse, comprenant alors que je ne suis pas seulement mécréante mais aussi incrédule. Je ne parviens toujours pas à réaliser le caractère définitif de certains événements, même lorsqu’ils me touchent directement.
Pourtant, le récit d’épisodes dramatiques, survenus à d’autres que je ne connais pas ou peu, me trouble profondément. Et il me semble que mon existence pourrait en être affectée, d’ailleurs certainement est-ce le cas ; le malheur des autres j’en suis sûre,me travaille au corps. J’ai toujours du mal à réintégrer ma propre vie après avoir écouté ces histoires douloureuses ; je suis effrayée de garder en moi une part de cette tristesse étrangère.
Me prenant à nouveau pour Ulysse, je rentre à la maison pour retrouver des visages apaisants. Le quotidien domestique, son lot de contraintes et de plaisirs modestes me tendent les bras.
Ce n’était vraiment qu’une histoire.
18 septembre
l’Homme aimé
L’homme, un homme. Je n’ai aucun sentiment d’appartenance ni de propriété. Cet homme a arpenté mon corps. Il a suffit qu’il atteigne un instant la limite foudroyante d’une possible rencontre entre deux corps. Une existence entière à mes côtés ne le verra pas progresser d’un micron. L’être aimé est devenu la promesse de revisiter, sur quelques instants de toute une vie, cette limite insupportable où se fondent les rêves de deux enfants orphelins. L’être aimé est la promesse d’une altérité renouvelée. À deux nous faisons le pari de deux corps mêlés, emmêlés à démêler.
Rien n’est moins juste qu’une histoire d’amour. Ni l’envie d’aimer, ni le désir, ni la conscience, ni le labeur nous assure d’entrevoir l’insupportable bonheur de se fondre à l’autre. Aucun acharnement, aucune rigueur morale, nous permet d’éviter de croiser ces autres regards, qui de façon impromptue nous touchent aussi profondément et durablement. Il n’est personne aujourd’hui dont mon bonheur ne dépende, ni l’homme que j’aime, ni aucun autre.
Il est celui qui aura malmené et pollué cette intimité réduite soumise à l’altérité. Il est celui-là qui aura habité une part de moi-même sans jamais la posséder. Il est celui qui l’aura pour toujours piétinée et laissée échappée, conquise et perdue en deux instants si proches qu’ils se confondent. L’homme aimé est ma seconde terrible déception : il me raconte l’histoire de mes parents et de leur désamour fondateur. Il est ma consolation la plus douloureuse et la plus cruelle. Il est la preuve de ma cruauté, de l’impossible compromis, de la grandeur et de la petitesse de nos mensonges, de notre tendresse. Il est l’effort d’oubli de soi. Mais en lui, le reflet de notre propre finitude captive toute notre attention.
L’homme que j’aime
( variante de l’homme aimé)
L’homme que j’aime me demande souvent si je l’aime. Et souvent, je détourne les yeux car sa question résonne comme le reproche d’un manque d’amour, d’une indisponibilité de mon cœur, d’un renoncement à vivre exclusivement dans l’espace dessiné par nos corps meurtris enlacés auquel j’aurai consenti.
Je réponds que je l’aime car je ne trouve rien de plus juste à dire et parce que me taire laisserait planer l’ombre d’un possible tarissement de notre amour.
L’homme que j’aime me demande souvent pourquoi je l’aime. Je lui réponds que nous n’avons contracté aucun mariage de raison. Mais, au fil du temps, j’ai fini par admettre qu’il n’existait pas de folle question. À vouloir expliquer mon amour, peut-être pourrais-je saisir le lien secret qui m’attache à un être différent, lointain et irréductible.
Car je n’ai jamais posé ces questions. J’ai appris à taire mon désir d’une attention qui serait infinie, d’un regard irrémédiablement complice.
L’homme que j’aime me semble si loin parfois, que je m’inquiète subitement.
Pudiquement, je lui demande « Est-ce que tu m’aimes ? ». Ma voix est si douce alors, que je suis seule à l’entendre.
(novembre 03)
L’Intimité
L’intimité est une proximité. C’est pourquoi elle ne se visite pas, elle s’expérimente, elle se crée à chaque confrontation. Elle ne se partage donc pas comme un espace a priori. L’intimité est souvent confondue avec une sorte de cartographie secrète et pudique. Car elle se dessine au fil des récits, des confidences volontaires et involontaires. Mais bien plus fragile qu’un fragile plan d’architecture intérieure, l’intimité se défait presque instantanément lorsque les liens se distendent, à la moindre procuration.
L’intimité ne souffre ni de l’usure, ni de notre impatience : elle apparaît, elle disparaît, elle réapparaît parfois. Elle n’attend jamais dans le couloir. Elle n’attend jamais. Aucun compromis concernant notre disponibilité.
Voilà une étoffe qui s’alourdit, parce que la trame se resserre, qui ne peut exister dans nos souvenirs, qui nous laisse au mieux comme la vague sensation d’avoir célébré la nécessaire altérité de soi.
12-03
Au Jour le jour
Je pensai avoir ainsi découvert la liberté. Mais vivre pour le temps présent consiste autant à refuser de considérer et de construire son avenir en s’aliénant aux personnes, aux objets, au confort, qu’à nier notre propre histoire, nos origines.
Vivre au jour le jour consiste à refuser toute perspective historique. J’avoue en avoir soupé de ces 2000 ans d’ère chrétienne qui ne cessent de me répéter que la femme porte le vice, qu’elle doit se soumettre à son homme, que le plaisir est mauvais, qu’il est bon d’enfanter dans la douleur, que le martyr est fort, que le sacrifice est bon, que la bonne morale (la morale des bonnes gens) doit guider ma vie, que les remises en causes sont mauvaises…
J’avoue ne pas être excitée au lever du drapeau, au récit des anciens combattants concernant leurs exploits de la première ou deuxième guerres mondiales. Le passé ne m’apparaît pas comme une source d’exemplarité, il me fait froid dans le dos. Les générations passées ne m’inspirent aucune admiration particulière. Je rencontre de nombreuses personnes âgées qui me touchent par leur rigueur et leur exigence envers eux-mêmes, leur tolérance et leur disponibilité pour autrui. Mais je croise de plus jeunes gens qui me font le même effet. Il n’est jamais trop tôt pour s’amender, douter et faire profil bas. La nostalgie n’est qu’un moyen d’exclure les regards neufs.
Pourtant seuls d’autres yeux, peut-être, pourraient imaginer de nouvelles perspectives pour notre société. On préfère entretenir des chômeurs sans avenir plutôt que risquer un nouveau partage du pouvoir, plutôt qu’envisager un vrai dialogue. L’humanité éprouve aujourd’hui des difficultés pour s’extraire d’un présent qui nous avale. Nous vivons tous dans l’urgence, du plus démuni au plus aisé.
Pour prendre du recul, il nous faudrait accepter l’altérité qu’engendre la confrontation et l’échange. Il ne suffit plus d’accepter de partager nos richesses, il ne suffit pas d’accepter de ne plus nous enrichir, il nous faut désormais simplement renoncer à une richesse supérieure à nos besoins. Il est temps de profiter simplement de ce dont nous disposons sans en jouir : le temps. Et refuser le reste, le toc, le sucre qui pourrit nos dents et notre clairvoyance.
Le temps multiple, le temps feuilleté. Il est temps d’oublier également, quoiqu’en disent les historiens. Car oublier ,c’est dégager de la place pour autre chose, c’est permettre à notre mémoire de faire d’autres choix.
Avec la médiatisation de multiples événements qui ne me concernent pas, l’histoire se fabrique aujourd’hui à partir d’épiphénomènes auxquels on reconnaît une valeur d’exemplarité. Je ne me reconnais pas dans cette histoire. Ce n’est pas la mienne mais celle qu’on me raconte, comme on racontait l’histoire des gaulois aux indigènes colonisés. Je suis une indigène colonisée.
Au jour le jour, chacun peut écrire une poésie du domestique. Parler de l’ordinaire est le seul moyen pour continuer à faire exister l’imaginaire. C’est un acte de résistance face à la médiatisation des VIP, de l’événement, du spectaculaire.
Aujourd’hui comme hier, il faut faire preuve d’une grande intelligence pour vivre parmi ses semblables. L’imaginaire trivial ne se convoque pas, il se travaille, il s’invente chaque jour. Voilà peut-être comment renouveler la désespérante histoire humaine.
La Lampe de chevet
Certains vieux éteignent aujourd’hui encore sans prévenir la lumière, afin d’obliger les enfants - même devenus adultes – qui lisent à se coucher. Lire est un luxe, qui leur est parfois refusé, auquel il serait indécent d’ajouter celui de dépenser de l’energie électrique.
Allumer et éteindre la lumière de son chevet, quant bon lui semble, est pour chaque enfant l’ultime liberté à conquérir : la liberté des sages qui souhaitent s’instruire en parcourant pensées et autres livres de chevet.
Aussi pour le couple qui s’en va rejoindre sa couche, la lumière est sujette à bien des compromis. Bientôt l’un des deux conjoints impose le couvre-feu, sous prétexte que d’autres espaces sont disponibles pour la lecture. En vérité, il refuse là à son partenaire ces instants de recueillement, dont il est exclu, et qui dispose le lecteur à une nuit de rêves et de secrets qui lui échappent bellement.
L’obscure sommeil du penseur se prépare dans son lit la chandelle allumée, lui-seul sait quand la nuit est vraiment tombée.
Les Objets de la maison
Les objets s’amassent. Ils s’agencent sur les étagères, le buffet. Ils se collectionnent.
Les antiquités sont la mémoire des ancêtres auxquels ils ont appartenu. Vestiges d’une activité oubliée (les outils de travail), ces « vieilles choses » ont canalisé l’énergie, ont rythmé la vie des ailleuls : telle « forme » pour un chapelier ; tel « carreau » pour une dentellière. Ces « puces » de brocante contiennent une mémoire tout aussi prodigieuse que nos puces informatiques, mais leur encombrement n’est pas comparable.
Parfois ces curiosités sont rangées dans des boîtes, dans le haut des placards, présentes et invisibles. Parfois elles sont mises en scène dans l’espace du foyer, rejoignant la ftribu de tous les corps inertes accumulés. Ce faisant, les maîtres de la maison tissent des liens entre les personnes qui les leur ont offertes ou léguées. Ainsi la famille continue de s’étendre également en remontant le temps.
Certains objets ont une utilité, d’autres non. Certains renvoient au même espace imaginaire (l’époque, le lieu, la fonction, l’esthétique,…ce sont les critères de toute collection), d’autres non : dans un bol des croix de communiants et deux poupées russes rescapées d’une série de sept, ou de cinq ? Cela rappelle le « jeu de l’intrus ». Peu importe leurs valeurs, leurs références à un code esthétique culturel particulier, tous ces objets entretiennent des liens très profonds, car ils tracent le portait de la famille, ils dessinent l’image que ces personnent ont d’elles-mêmes, et celles qu’elles veulent que l’on ait d’elles.
Ces choses relatent des histoires, des rencontres, des fictions. Elles témoignent de la construction de notre identité, d’un choix et d’une création de notre mode de vie. Elles symbolisent une idée du bonheur, du bien-être et du confort domestiques. Elles matérialisent une certaine réalisation de soi ainsi que la tentative de s’inscrire ensemble dans l’espace et le temps (de la famille).
Quels curieux télescopages parfois ! Lorsque les objets ont une valeur affective, ils ne sont plus de bon ou de mauvais goûts : ils valent pour l’histoire qu’ils portent (cadeaux de fête des mères, souvenirs de vacances…).
Habitée par tous ces objets, la maison semble ne pas avoir besoin de ses propriétaires pour continuer à vivre.
Recevoir chez soi est donc un événement important, d’antant plus qu’il est rare, parce qu’il invite les hôtes à des jeux de projections, de regards, qui reflètent des secrets. Il y a ce qu’on cache, ce qu’on met en valeur, ce qu’on range et ce qu’on laisse négligemment traîner. Mais, il n’y a pas de petit désordre qui ne soit consenti, voire étudié, dans ce musée domestique. Le « pêle-mêle » magnétique par exemple regroupent des photographies suivant une logique bien spécifique à la famille.
Les trésors accumulés que je photographie chez les particuliers s’entretiennent dans une langue qui me reste étrangère, qui me désigne comme l’étrangère. L’hospitalité consiste peut-être justement à expliquer « les choses ». Elles n’en demeurent pas moins mystérieuses : je contemple ces objets qui ne m’appartiennent pas, qui sont la possession d’autres, qui sont tout ce qu’ils possèdent, et qu’ils devront laisser.
L’Organisation
Ainsi que le rappelle Hubert Reeves (L’espace prend la forme de mon regard), l’étoile, l’humain et le plus petit objet insignifiant sont faits de la même matière, de ces mêmes particules assemblées chaque fois différemment. L’existence, le temps quotidien s’organisent comme la matière. Tout ce qui existe à la conscience de l’homme est matière à organisation. Ordonner, ranger, classer est le propre de l’être humain. Toutes les sociétés primitives n’ont-elles pas commencé par créer du lien, le hiérarchiser, le codifier ? L’individu peut-il exister en ignorant toute structuration sociale, fut-elle marginale ?
L’organisation relève à la fois de l’explication (de notre présence au monde), de l’acte création et elle s’affirme comme une tentative d’émancipation : comprendre comment sont agencés les corps, les phénomènes, les relations entre chaque être ou objet, consiste à les reconnaître, à leur donner un sens. Ainsi, le monde devient lisible.
Une grille de lecture nous permet de saisir l’histoire par un bout, de remonter jusqu’à son commencement, de suivre le plan.
L’organisation d’un objet ou d’une pensée est en fait la structure que nous croyons en percevoir, pour nous raconter l’objet à nous-mêmes. En ordonnant ou en révélant la constitution du visible chacun se raconte l’épopée éternelle de la matière et l’histoire de tout organisme voué à disparaître. Nous imaginons les multiples combinaisons possibles du vivant. Comment pourrait-il exister d’emblée une cohérence à tout cela ? Croyons-nous encore que l’histoire peut se raconter ?
Toute méthodologie est une fiction, dont le but est de tisser des liens de similitude, de cause à effet, de hiérarchie entre des phénomènes qui, pour certains au moins, ne peuvent interagir que dans notre imagination. Organiser est un simple et rassurant exercice de la pensée. L’organisation apparaît en conséquence comme une croyance pratique : plus réconfortante que toute religion, supérieure à tout principe philosophique, à moins de n’englober toutes les croyances et toutes les formes de la Pensée; chaque chose a un rôle, une place définie au sein d’un environnement cohérent.
Obéir avec ferveur aux principes de l’organisation, ce n’est donc pas seulement s’expliquer le monde,s’y soumettre, en y trouvant sa place. Cela consiste également à s’émanciper des contraintes triviales et faire de son existence une œuvre qui ait un sens : en dégageant le temps nécessaire au recul, nous donnons corps à des pensées éparses, nous construisons notre pensée et nous la modèlons. Nous choisissons un sens à la réalité, sachant qu’il est notre pure création : combien de temps faudra-t-il encore croire en une science universelle ? Quand finirons-nous par admettre qu’il nous faut chacun inventer son histoire, ses mots, faire de son existence un espace de création totale. Notre liberté est infinie.
Tout s’organise et notre perception n’y échappe pas. Toute l’énergie de notre corps sensible consiste à organiser ce que nous faisons, ce que nous voyons, ce que nous pensons, ce que nous désirons.
Il arrive parfois, lorsque la vraie fatigue survient, que nous ne cherchions plus à arranger nos pensées. Nous regardons alors les corps bouger sans chercher à comprendre les relations qu’ils entretiennent entre eux. Tout s’agite autour de nous, sans que l’on prenne part à ce mouvement continu. On se trouve un instant hors-jeu, hors du langage et de la pensée. À cet instant apparaissent à nos côtés de multiples individus dont on ne soupçonnait jusqu’alors l’existence : vieillards sans âge, hommes et femmes sans travail, ni logement, ni dignité, familles venues d’ailleurs, de nulle part. Tous ont échoué là comme nous. Leurs silhouettes fantomatiques semblent tétanisées par la vitesse de ceux qui s’activent encore et pour lesquels on se demande comment ils font pour ne pas se percuter.
Pour quitter ces limbes, il faut courir et courir encore jusqu’à se réinsérer dans la circulation. Pourquoi le corps refuse-il parfois soudain de courir ?
Est-il possible vraiment que nous soyons faits de la même matière que les étoiles ? Ou bien, comme nous, les astres s’arrêtent-ils de courir lorsqu’ils sont fatigués ?
Le 17 septembre
les Parents
Ils sont Dieu incarné, fait de chair et de sang et étranger à la faiblesse humaine, aux doutes existentiels. Ils sont Dieu détrôné, tombé sur Terre, misérable, honteux de n’être que ce qu’ils sont. Dieu incrédule face à la déception de son enfant.
Ils sont Dieu mourant, pour renaître et mourir à nouveau. Ils n’ont de cesse de désemparer leurs orphelins. Ils sont notre plus grande déception. Ils sont le mur de la honte contre lequel chacun se cogne avant de tomber à terre. Qu’il est difficile à penser qu’on est à l’image de ses parents, ni pire ni meilleur. Qu’il est difficile à penser qu’ils sont à notre image, ni plus ni moins vulnérables que nous le sommes, ni plus ni moins exempts d’erreurs grossières, de calculs bas, de pensées médiocres.
Les parents sont l’évidence, ce qui nous reste de repères quand nous perdons tous les autres. Leur corps exhibe l’ouvrage du temps, de la sérénité. Cette vulnérabilité est insupportable. Car la mort de notre chair s’expose pour la première fois à travers leur propre chair.
Les Plantes d’intérieur
Pendant du salon d’extérieur, le jardin d’intérieur…
Chacun désormais cultive avec zèle des plantes d’intérieur, qui mourraient en extérieur. Ces plantes domestiques sont à mi-chemin entre le meuble et l’animal domestique, lui-même équidistant du meuble et de l’humain. Résumons donc, de gauche à droite : le meuble puis la plante, puis l’animal et enfin l’humain. Voilà une belle échelle de valeur, l’échelle étant du parti du mobilier le plus rustique qui soit.
La plante est donc plus vivante et plus exigeante en attention que le tabouret, elle est moins vindicative et moins bruyante que le chat affamé. Surtout la plante domestique a la grande qualité de savoir écouter patiemment nos conseils, nos incantations et de se taire.
Elle est toujours présente et disponible. Elle meurt de notre attention frivole et inconstante, sans un reproche, sans nous culpabiliser : qui voudrait abandonner une jardinière sur une aire d’autoroute ? Une plante ne s’abandonne pas, elle se fait oublier et disparaît en silence peu à peu sous nos yeux, nous offrant le plus insignifiant et le plus tolérable spectacle de décrépitude et de dessèchement du coeur.
02-10
Les Rencontres
Si aucune rencontre magique ne se programme vraiment, tu peux tout de même te mettre en condition : voyager, t’inviter, t’arrêter, te tenir prêt.
La rencontre ludique est l’entracte du spectacle de notre trivialité. Elle permet de souffler, de se détendre.
La rencontre questionnante te dote d’un coup de plusieurs paires d’yeux, lesquels ne sont d’ailleurs pas toujours tournées où tu voudrais. Ces regards rendent ton esprit agile, mobile et critique. Car ces instants arrêtés de la pensée et de l’expérience individuelle ne valent que par la confrontation ; parce que ton récit m’intéresse, ma vie prend provisoirement un sens.
La rencontre apaisante enfin est le contact idéal. Il permet la construction d’un espace de non-confrontation, d’amour de soi en l’autre et de l’autre en soi. L’apaisement nous fait croire à une possible continuité, une fluidité des rapports de soi étendu à l’autre : une rencontre sans rugosité, sans altérité et qui nous touche pourtant.
Tels nos héros de contes d’enfants, nous devrions courir le monde pour résoudre les quelques énigmes imposées par notre histoire. Les rencontres ponctuent notre quête et progressivement ébauchent la réponse aux questions que l’on ne peut formuler.
Volonté d’apaisement durable, recherche de compagnons de route, d’amis fragiles, de repères qui se déplaceraient à la même vitesse, dans la même direction, pour incarner cette constance nécessaire à la compréhension de ce qui ne saurait durer…
Un Réveil en douceur
J’entends des chuchotements derrière la porte. C’est une petite fille qui veut me souhaiter une bonne journée, mais sa mère, protectrice de mon sommeil, l’éloigne sur la pointe des pieds…
L’Usure
L’usure, actrice en coulisse, c’est elle la mauvaise. Une maladie incurable, responsable de nos mots abrupts, de notre cruauté sadique, de notre égoïsme forcené, de notre impossible recul.
L’usure est une blessure de surface, cousine de la caresse.
À l’usure des corps répond celle des sentiments, des convictions, de la raison, du bon sens. L’humanité est fatiguée.
Seuls les coureurs de profits, au spectre de vision peu élargi, filent encore droit devant.
Et nous, nous laissons choir ce que nous avons conquis. Comme si le seul pouvoir que nous avions sur notre environnement était d’en précipiter la fin. Est-ce encore par usure ou simplement par paresse que nous laissons nos enfants malmener leurs jouets ?
vendredi 1 octobre 2004
L’utopie domestique (catalogue)