interview Vidéoformes
Extrait de l’interview de Pascale Weber réalisée par Gabriel Soucheyre pour Vidéoformes)
« Immémorial est une vidéo in progress. Un été j’ai filmé ma grand-mère qui perdait la mémoire, atteinte d’Alzheimer. J’ai toujours été préoccupée par ma difficulté à mémoriser les nombres, les noms, les titres… J’ai très peu de souvenirs de mon enfance. J’ai commencé à travailler à tout cela, prendre des photographies des lieux où j’avais vécu, chercher à prolonger le cadre… certains souvenirs sont réapparus, simultanément je demandai à des personnes âgées de me raconter des épisodes de leur vie. La mémoire est une drôle de matière, c’est un lieu reconstitué, c’est un temps réinventé. Quant à l’enfance, ceux sont d’autres qui nous racontent qui nous avons été, et il nous faut les croire car nous n’avons rien d’autre.
Avec ce travail, j’ai pris mes distances avec ce que je connaissais par exemple de l’œuvre de Sophie Calle. Car ce n’était pas la question du récit autobiographique, même « fictionnisé » qui m’intéressait mais le processus de fabrication de nos souvenirs, de os images obsessionnelles, le fonctionnement de notre imaginaire. Pourquoi telle image se fige dans notre mémoire et non telle autre, pourquoi oublie-t-on et se rappelle-t-on soudain : applatissement des données. Comment peut-on oublier ses enfants ?
Les images du film ont été maintes fois remaniées.
Ce fut d’abord une suite de petitesvidéos, présentées pour certaines dans des festivals, puis une compilation au sein d’un film de 30 minutes en quatre parties présenté au MAMAC de Nice lors d’une conférence en décembre 2006 (Immémorial, version 1). Puis ce fut un dispositif de projections vidéo au sein d’un espace clos dans lequel les sons diffusés par de minuscules haut-parleurs circulaient comme des courants d’air. Le visiteur saisissait »au vol » des bribes de souvenirs. Ce projet a été modélisé en 3D (Immémorial, version2) avec notamment l’aide d’Owen Kevin Appadoo.
La troisième version : Immémorial-Non-lieux de la Mémoire a été présentée en 2009 lors d’un colloque sur les espaces virtuels. Luccio Stiz m’a aidée à la conception multimédia et Jean Delsaux à la réalisation du dispositif. Il s’agissait d’une installation interactive qui présentait les séquences de quatre film simultanément. Le visiteur pouvait appeler, interrompre, et changer ces clips vidéos en entrant sur un ordinateur des mots-clef. Les mots se superposaient un temps à l’image et revenaient durant un autre temps, comme une réminiscence, à l’écran. Le spectateur pouvait également entrer d’autres termes auxquels lui faisaient songer les images.
Je ne crois pas que le récit et le verbe en général soient les facteurs le plus efficaces du recouvrement de la mémoire mais la représentation d’espaces que nous avons parcourus, où nous avons séjournés, où notre corps sans restriction a éprouvé des désirs, des frustrations et sa propre limite.
Le récit c’est du ressenti déjà perdu… C’est du moins ma propre expérience. Travailler à partir de photographies pour dessiner ce qui est hors-champ, tenter de crayonner des images relatives aux lieux que je me rappelle.Cela m’a permis de faire surgir des souvenirs auxquels je n’avais plus accès. Les épisodes structurés que je peux raconter quant à eux, me placent comme spectatrice de ma propre enfance : où-suis-je, quel rôle ai-je au cœur de cette histoire ?
Les mots de mon installation ne sont pas des déclencheurs mais une sorte de métaphore poétique des liens secrets que tissent nos différentes expériences sensibles, nos peurs et nos envies. »
jeudi 20 août 2009